Gherasim Luca et Dolfi Trost




Dialectique de la dialectique: Message adressé au mouvement surréaliste international.






Nous nous adressons à nos amis surréalistes, dispersés dans le monde entier et comme dans les grands naufrages, nous leurs indiquons notre position exacte, à 44º5' de latitude nord, et 26º de longitude est.




La diversité inépuisable des moyens de crétinisation dont disposent les ennemis du développement dialectique de la pensée et de l'action, et les océans de sang qui illustrent l'arrêt actuel du devenir objectif, ne réussiront jamais à nous faire quitter du regard, ne fût-ce que pour un instant, le fil rouge de la Réalité.
En dépit des pièges qui nous entourent, nous refusons de glisser dans les erreurs tant théoriques que matérielles qui parviennent, chaque fois, à revêtir de nouveaux aspects, et qui, par leurs côtés immédiats, moraux ou quantitatifs, pourraient nous éloigner de notre désir fondamental, dont le premier degré connu est la transformation du désir en réalité du désir.
Séparés de nos amis, depuis le début de la guerre impérialiste mondiale, nous ne savons plus rien d'eux. Mais nous avons toujours gardé le secret espoir que sur cette planète, où notre existence semble devenir de jour en jour plus intenable, le fonctionnement réel de la pensée n'a cessé de conduire le groupe qui détient entre ses mains la liberté idéologique la plus haute qui ait jamais existé, le mouvement surréaliste international.
Nous nous adressons particulièrement à André Breton, en lui envoyant notre plus ardent message et nous communiquons, en même temps, au mouvement surréaliste international, certains des résultats théoriques auxquels nous avons abouti pendant ces dernières années de solitude, à la poursuite infatiguable de nouvelles solutions dialectiques qui nous permettent de dépasser le conflit déchirant qui existe entre nous et le monde.
Surréalistes, nous avons continué à voir la possibilité de ces permanentes confrontations entre la réalité intérieure et la réalité extérieure dans notre adhésion au matérialisme dialectique, dans le destin historique du prolétariat international et dans les sublimes conquêtes théoriques du surréalisme.



Si le mouvement surréaliste a su vite réagir envers les déviations de droite qui l'entouraient ou bien le combattaient, déviations d'opportunisme politique ou artistique, ce qui d'ailleurs avait lieu avant 1939, année d'où datent nos dernières informations, nous songeons qu'il est temps de diriger notre attention aussi envers certaines erreurs qui se sont glissées à l'intérieur même du surréalisme. Bien que moins visibles, ces erreurs nous semblent tout aussi dangereuses pour le développement dialectique de la pensée; aussi, nous croyons devoir signaler certaines tendances existantes dans le surréalisme des dernières années, tendances qui risquent de compromettre, peu à peu, l'effort commun.
Ces déviations artistiques, idéologiquement rattachées au mouvement surréaliste, sont groupées par nous dans les rubriques générales suivantes: transformation lente des découvertes objectives en moyens de production artistique et essai de propager, d'une manière culturelle, un état donné du devenir de la pensée surréaliste.
En ce qui concerne l'existence de ce qu'on pourrait nommer « un paysage surréaliste », pendant ces dernières années, nous croyons ne pas être les seuls qui s'en soient inquiétés.
Nous ne pensons pas à l'emploi abusif du surréalisme, comme cela est arrivé depuis longtemps, à ceux qui se sont servis de ce terme pour une raison ou pour une autre, erreurs combattues à temps. Il est question d'un emploi mimétique des techniques inventées par les premiers surréalistes, techniques revenant dans toutes sortes de productions à l'intérieur même du mouvement, mais qui manquent d'objectivité révolutionnaire, si on les analyse de près.
Seule une nécessité objective complète peut justifier l'emploi d'une technique surréaliste après sa découverte, tels une manie ou un état de suggestion hystérique. Mais nous croyons qu'il est temps de réagir envers la tendance à considérer certaines techniques, objectivement surréalistes, comme mécaniquement transmissibles et pouvant être utilisées à l'infini.
Il existe des découvertes surréalistes, mais il n'existe pas de manières surréalistes, applicables telles quelles, et qui ne feraient que remplacer les anciennes et odieuses méthodes des poètes, des peintres ou des écrivains. Bien que les procédés découverts par les surréalistes, tels que l'écriture automatique, le collage ou le délire d'interprétation aient une valeur objective que nous ne saurions exagérer, tant notre accord et notre admiration envers eux sont puissants, il est évident que la répétition idéaliste de leur emploi, leur enlève toute valeur théorique première et n'est point justifiable du point de vue surréaliste, c'est-à-dire dans ce que ce mouvement révolutionnaire a de plus dialectique en lui. Car, par cette répétition artistique, les techniques surréalistes deviennent, entre les mains de ceux qui se laissent tromper par une interprétation si douteuse de l'objectivité, des techniques esthétiques et abstraites.
Aux alentours du surréalisme, et dans son intérieur même, et cela surtout dans la peinture et dans la poésie, on voit certaines données surréalistes reprises, variées, refaites, et l'existence du « paysage » dont nous parlions, constitue à nos yeux une déviation artistique, dangereuse à tous points de vue. Ce maniérisme « surréaliste », très souvent involontaire, risque de faire du surréalisme un courant artistique, de le faire accepter par nos ennemis de classe, de lui accorder un passé historique inoffensif, en un mot de lui faire perdre le mordant qui a animé, à travers toutes les contradictions du monde extérieur, ceux qui ont fait de la révolution leur raison d'être.
Nous voyons donc dans l'emploi non objectif et routinier des grandes techniques surréalistes, une erreur qui conduit à la dépréciation de ces découvertes, qui permet aux tendances artistiques de se servir ignoblement de ces valeurs révolutionnaires, ce qui constitue un péril mortel pour le développement de la pensée et de l'action.
La transformation des découvertes objectives surréalistes en techniques artistiques est rattachable à la seconde erreur que nous croyons devoir signaler, l'erreur que nous avons nommé une tendance de propager, d'une façon persuasive, un état donné du mouvement surréaliste.
Cette tendance ne fait qu'amplifier la première, vu qu'elle introduit le surréalisme dans une sorte de politique culturelle. Les anthologies « surréalistes » expriment visiblement cette seconde déviation et l'essai qu'elles manifestent de propager mécaniquement les découvertes existantes et d'en faire rayonner les données obtenues, ne peut être considéré que comme une triste tentative de faire accepter le surréalisme, en le fixant à un moment quelconque de son mouvement perpétuel.
Nous signalons à nos amis surréalistes ces deux erreurs fondamentales des dernières années et croyons ne pas devoir insister davantage sur les dangers qui guettent la pensée révolutionnaire, à l'abri d'une confiance funeste dans la possibilité de fixer culturellement ce qui a été arraché violemment au monde extérieur et à nous-mêmes. La transformation du surréalisme en courant de révolte artistique mettrait fin à son développement théorique, et après son passage à travers les phases inévitables du refus et du scandale, il risquerait de partager le sort de tous les mouvements de révolte, que l'ennemi de classe parvient toujours, d'une façon ou d'une autre, à employer par la suite.


Nous entendons communiquer dans les pages qui suivent, les conclusions théoriques auxquelles nous sommes arrivés, mais dont nous ne pouvons exprimer la teneur que bien partiellement.
En même temps, nous croyons devoir préciser certains points de vue fondamentaux, et que nous croyons pouvoir attribuer au mouvement surréaliste en général, ces positions ayant le rôle de rehausser les découvertes concrètes que nous désirons présenter et qui sont reprises plus amplement dans les ouvrages spéciaux que nous leurs avons destinés.
Il est bien difficile de trouver les équivalents graphiques de nos désirs les plus inexprimables, mais nous tenterons d'en indiquer quelques points essentiels. Le premier point sur lequel nous voudrions insister concerne la nécessité de maintenir le surréalisme dans un état continuellement révolutionnaire, état qui puisse nous offrir les solutions synthétiques (hégéliennes, matérialistes, inouïes), vainement attendues jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs.
Cet état continuellement révolutionnaire ne peut être maintenu et développé que par une position dialectique de permanente négation et de négation de la négation, position qui puisse prendre toujours la plus grande extension concevable, envers tout et envers tous.
Nous repoussons toute tendance, si séduisante qu'elle puisse être, de faire du surréalisme soit l'héritier de la pensée révolutionnaire, soit le mouvement le plus avancé de nos jours, soit tout autre état synthétique qui pourrait lui revenir naturellement. Il est hors de doute que la position actuelle du surréalisme implique ces états synthétiques, mais nous croyons devoir repousser tout essai de le limiter statistiquement, de le laisser être dévoré par les problèmes de tout legs.
Les fols espoirs que nous nous sommes mis dans l'apparition du surréalisme et dans notre propre apparition réclament l'expression de tous nos désirs, à la fois, et ce désir de désirer se heurterait à tout essai de transformer le surréalisme dans un mouvement uniquement actuel.
La puissance dialectique et matérialiste du surréalisme par devers tous les autres mouvements existants pourrait exercer justement une pareille attraction sur ses adhérants, et nous nous verrions, tôt ou tard, plongés dans la mélancolie abrutissante de tout héritage spirituel.
Le surréalisme ne peut être à nos yeux seulement le mouvement historique le plus avancé. Sans sombrer aucunement dans l'idéalisme philosophique de tout romantisme, nous pensons que le surréalisme ne peut exister que dans une opposition continuelle envers le monde entier et envers lui-même, dans cette négation de la négation dirigée par le délire le plus inexprimable, et cela sans perdre, bien entendu, un aspect ou un autre de son pouvoir révolutionnaire immédiat. Découvrant les positions les plus révolutionnaires, le surréalisme est en même temps son propre adhérant et il ne peut se confondre longtemps avec lui-même. C'est ici que se cache la clé de toute puissance révolutionnaire, et elle ne doit pas nous échapper, que ce fût même pour les plus tentants résultats quantitatifs.
Dans cette attitude dialectique, nous reconnaissons la possibilité la plus concrète de maintenir intact en nous le mécanisme révolutionnaire et le moyen de fouler aux pieds toute découverte qui ne nous obligerait pas immédiatement à en trouver une autre. Ces états de négation qui s'enchaînent concrètement, absurdement et dialectiquement l'un à l'autre, nous font rejeter le passé dans son entier, vu que nul moment historique n'a pu contenter le relatif-absolu de tous nos désirs. Nous rejetons le passé de l'humanité dans son entier, et son support mnésique, la mémoire, entendant par nos désirs non seulement la projection de quelques besoins fondamentaux, tels certains désirs recélés par l'inconscient, mais aussi ceux que nous devons inventer à peine. Toute limitation de la possibilité d'inventer de nouveaux désirs, de quelque part qu'elle vienne, sur n'importe quelle raison qu'elle se fonde, éveillera toujours en nous un goût démoniaque de négation et de négation de la négation.


Dans cet effort de mettre en accord la réalité intérieure et la réalité extérieure, nous reprenons, infatiguablement, certaines sublimes découvertes qui exaltent nos positions. Nous pensons premièrement à la position matérialiste (léniniste) du relatif-absolu et au hasard objectif, dans son acception de rencontre de la finalité humaine avec la causalité universelle.
Le hasard objectif constitue pour nous le moyen le plus terrible pour trouver les aspects relatifs-absolus de la réalité, dans ses côtés favorables, et seul il nous offre sans cesse les possibilités de découvrir les contradictions de la société divisée en classes.
Le hasard objectif nous conduit à voir dans l'amour, la méthode générale révolutionnaire propre au surréalisme. Après tant d'essais infructueux pour trouver une méthode concrète révolutionnaire, qui ne soit tachée de nul résidu idéaliste, nous sommes arrivés à considérer le magnétisme érotique comme notre support insurectionnel le plus valable.
Il est évident que pour arriver à cette conclusion d'ordre général, notre position envers l'amour s'est développée d'une manière inouïe. Cette position implique tous les états de l'amour connus jusqu'à nos jours, mais elle réclame, en même temps, la négation dialectique de ces états.
Nous acceptons, mais nous dépassons, du moins théoriquement, tous les états connus de l'amour: le libertinage, l'amour unique, l'amour complexuel, la psychopathologie de l'amour. En essayant de capter l'amour sous ses aspects les plus violents et décisifs, les plus attractifs et les plus impossibles, nous ne nous contentons plus de voir en lui le grand perturbateur, qui réussit parfois à briser, çà et là, la division de la société en classes. La puissance destructrice de l'amour envers tout ordre établi contient et dépasse les besoins révolutionnaires de notre époque.
Nous proclamons l'amour, délivré de ses contraintes sociales et individuelles, psychologiques et théoriques, religieuses ou sentimentales, comme notre principale méthode de connaissance et d'action. Son exaspération méthodique, son développement sans limites, sa bouleversante fascination, dont nous avons déjà franchi les premières étapes avec Sade, Engels, Freud et Breton, offrent les éclats monstrueux et les scandaleux efforts qui mettent à notre portée, et à celle de tout révolutionnaire, les moyens d'action les plus efficaces.
Cet amour dialecticisé et matérialisé constitue la méthode révolutionnaire relative-absolue que le surréalisme a dévoilé, et dans la découverte de nouvelles possibilités érotiques, qui dépassent l'amour social, médical ou psychologique, nous parvenons à saisir les premiers aspects de l'amour objectif. Même sous ses aspects les plus immédiats, nous croyons que l'érotisation sans limites du prolétariat constitue le gage le plus précieux qu'on puisse trouver pour lui assurer, à travers la misérable époque que nous traversons, un réel développement révolutionnaire.


Dans cet effort de découvrir et d'inventer les côtés les plus bouleversants de l'amour, nous nous opposons tant aux limitations qu'extérieurement la nature nous oppose, qu'aux limitations intérieures des complexes oedipiens. Nous nous opposons à la passivité manifestée jusqu'à présent envers la nature, à l'admiration cachée qu'elle a inspiré aux mouvements révolutionnaires, car la lenteur des lois naturelles provoque notre impatience.
Nous ne pouvons accepter non plus la biologie humaine qui réfléchit la nature dans ses côtés les plus avancés, les axiomes cellulaires qui nous entourent et qui aboutissent fatalement à la mort, contrariant nos désirs révolutionnaires et maintenant en nous une tension ambivalente, entre la vie et son contraire.
Nous songeons mettre en accord notre position de classe avec notre position envers les côtés régressifs de la nature, vu qu'une confiance aveugle et sous-entendue en les possibilités de celle-ci, comme elle a existé presque toujours, risque d'entretenir une terrible oppression.
Une révolution totale, telle qu'elle a été formulée pour la première fois par le mouvement surréaliste, ne peut plus accepter les sauts darwinistes de la nature, les influences contrariantes de la biologie humaine ou l'indifférence abstraite de la cosmologie.
Nous désirons dialecticiser et rendre concrets les essais utopiques de résistance humaine envers la nature, et nous désirons renverser les terrifiantes barrières qu'elle ne cesse de nous opposer, barrières à l'abri desquelles la société divisée en classes peut se maintenir.
Nous savons depuis longtemps que l'essai de graduer, pour des raisons d'opportunité, notre opposition envers le monde extérieur, finit toujours par se tourner contre nous. C'est la raison pour laquelle nous voulons enchaîner notre position révolutionnaire historique à notre position révolutionnaire contre la nature, rétablissant ainsi d'une manière favorable, les rapports nécessaires entre le désir et l'univers, considérés de point de vue cosmologique.
Nous nous rendons compte, plus que jamais, que toute révolution de classe doit être doublée concrètement d'une révolution contre la nature.


La nécessité de découvrir l'amour, qui puisse bouleverser sans interruption les obstacles sociaux et naturels, nous mène à une position non-oedipienne. L'existence du traumatisme natal et des complexes oedipiens, tels qu'ils ont été découverts par le freudisme, constituent les limites naturelles et mnésiques, les plis inconscients défavorables qui dirigent, à notre insu, notre attitude envers le monde extérieur. Nous avons posé le problème de la délivrance intégrale de l'homme (Gherasim Luca: L'inventeur de l'amour) en conditionnant aussi cette délivrance par la destruction de notre position oedipienne initiale.
Grâce aux mouvements révolutionnaires, la position du père a été fortement ébranlée, tant dans ses aspects directs, que dans ses aspects symboliques. Mai les vestiges castrants du traumatisme natal n'en persistent pas moins, soutenus d'ailleurs par la position favorable au frère que les mouvements politiques ont soutenu, et qui n'est, elle aussi, qu'une des formes que revêtent les complexes initiaux.
Les douloureuses défaites dans l'amour, défaites teintées toutes de l'idéalisme romantique et de l'incapacité humaine à s'objectiviser, trouvent leur première image dans la fixité mnésique de la mère et dans la persistance du double primitif que nous portons en nous.
La transformation qualitative de l'amour en une méthode générale de révolution et la possibilité de dépasser, par un bond formidable, l'image inconsciente de l'amour, sont empêchées par cette défaite théorique primordiale, que la position oedipienne entretient en nous. Délivrés de l'angoisse mortuaire due à la naissance, délivrés des limitations complexuelles dues à notre attitude oedipienne inconsciente, nous essayons enfin de trouver les voies exactes de notre libération et de dépasser « l'éternel retour » qu'impliquent nos attitudes érotiques, dans leur aspects biologiques ou psychiques.
Considérés à travers une position non-oedipienne, les états existants de l'amour ne sont que des étapes que nous devons franchir et l'absurdité concrète de l'amour objectif ne peut se déclancher qu'à partir de cette impérieuse négation hégélienne, aphorisée jusqu'au paroxysme.
Les nécessités de la révolution réclament l'extension de l'attitude non-oedipienne sur un plan général (Gherasim Luca: Premier manifeste non-oedipien) concernant la position infra-psychique des révolutionnaires dans leur lutte immédiate. Aussi longtemps que le prolétariat gardera en lui les complexes fondamentaux initiaux que nous combattons, sa lute et même sa victoire seront illusoires, parce que l'ennemi de classe restera caché, à son insu, dans son sang.
Les limitations oedipiennes fixent le prolétariat dans une position de négation symétrique de la bourgeoisie, qui parvient de la sorte à lui inculquer, d'une manière d'autant plus dangereuse qu'inconnue, ses odieuses attitudes fondamentales.
La position du frère-père, maintenue dans l'inconscient du prolétariat, retient celui-ci dans un esclavage envers lui-même et lui fait conserver les déformations provenant de la nature et de l'économie capitaliste. Marx avait déjà attiré l'attention sur le besoin de considérer le prolétariat non seulement comme une classe antagoniste, issue du développement des moyens de production, mais aussi sur la nécessité de nier cet état imposé. Pour nier cet état, les dents de la révolution doivent mordre profondément la passivité inconsciente et naturelle de l'homme. Il est question de dépasser l'admiration abstraite et artificielle pour le prolétariat et de lui trouver les lignes de force qui impliquent sa propre négation. Cette négation doit d'ailleurs se départir d'un internationalisme humanitaire et révolu, qui continue de permettre aux particularités nationales de s'affirmer à l'abri d'une égalité réformiste, en faveur d'une position anti-nationale à outrance, concrètement de classe et outrageusement cosmopolite, remontant dans ses aspects les plus violents jusqu'à l'homme lui-même.


Notre position envers les rapports du conscient avec l'inconscient, tels qu'ils ont été mis à jour par le rêve et la psychanalyse, subit un changement dialectique, dû à notre attitude générale envers la réalité.
L'opposition mécanique qu'on nous montre exister entre le conscient et l'inconscient, en faveur de ce dernier, ne se pose plus de la même manière, à l'instant o?u nous nous situons réellement sur une position antagoniste. Vu que l'inconscient continue de garder, partiellement, des traces mnésiques régressives, dans une oniromancie obsessionnelle (Trost: Vision dans le cristal) nous nous opposons aux rêves, considérés comme les symptômes inconscients les plus révélateurs, lorsque le contenu manifeste de ces rêves conserve des restes diurnes réactionnaires.
Il est clair qu'il ne s'agit nullement d'une autre élaboration secondaire, à rôle censural, mais uniquement d'un essai de mettre dans un accord réel la vie diurne et la vie nocturne, ce qui nous semble impossible, tant que nous continuons d'accepter tout rêve en entier, même dans ses aspects mnésiques régressif.
L'acceptation de tout rêve, même à contenu réactionnaire, pourl unique raison que c'est un rêve et un symptôme de l'inconscient, et par conséquent l'acceptation de certaines scènes oniriques, telles les scènes de répétition ou de castration sociale, qui contredisent nettement nos positions idéologiques conscientes, nous conduirait à un tabou, que seule une position mécaniciste peut tenter de cultiver.
En reconnaissant d'une manière indescriptiblement concrète l'identité du fonctionnement réel de la pensée à travers la vie diurne, la folie et les rêves, et ne voyant dans ces trois modalités, que des distinctions artificielles entretenues par le déroulement de la pensée dans des conditions extérieures dissemblables, nous essayons de repousser l'influence dégradante des côtés sociaux oppressants, non pas en ramenant mécaniquement la vie diurne au rêve et à la folie, mais aussi par une attitude critique enves les restes diurnes contraires, conservés mnésiquement dans ces derniers états.
Nous ne pouvons accepter les rêves régressifs, comme nous ne pouvons accepter les folies religieuses, parce que notre confiance dans ces grandioses instruments révolutionnaires, nous empêche de receler des contenus réactionnaires, à l'abri d'une opposition, qui ne fait qu'éloigner par des retards mécaniques, le rapprochement de la vie diurne et la vie nocturne.
Recherchant en même temps le fonctionnement onirique dans la vie diurne, avec toutes ses conséquences explosives, nous nous rapprochons de la confusion complète de l'existence diurne et de l'existence nocturne, par la négation de leur séparation artificielle, dont seuls le somnambulisme, l'automatisme et quelques autres états exceptionnaux nous en ont offert les premiers degrés.
Nous avons repris le problème de la connaissance par l'image (Trost: Le profil navigable), en établissant une distinction nette entre les images produites par des moyens artistiques et les images dues à des procédés scientifiques, strictement appliqués, tels que l'action du hasard et de l'automatisme. Nous nous opposons à la tendance de reproduire, symboliquement, certains contenus théoriques valables à l'aide de techniques picturales, et nous pensons que l'inconnu qui nous entoure trouve, dans les images indéchiffrables, une matérialisation bouleversante au plus haut degré.
La peinture surréaliste, acceptant en général, jusqu'aujoud'hui, les moyens reproductifs picturaux, trouve la voie de son épanouissement dans l'emploi absurde de procédés aplastiques, objectifs et entièrement non-artistiques.


Parmi les nombreux procédés que nous avons trouvé, certains ont été présentés partiellement, à l'occasion d'une exposition, en janvier 1945, et ils ont été sommairement décrits dans une Présentation de graphies colorées, de cubomanies et d'objets.
Nous nous sommes occupé plus largement de ces procédés dans des ouvrages spéciaux (Oniriser la vie, Puissance du regard, La connaissance du temps, Initiation voluptueuse...) et nous ne pourrions résumer leur contenu dans ce succint message, sans éviter le risque de négliger l'un ou l'autre de leurs multiples aspects.
Poussant l'automatisme jusqu'à ses limites les plus concrètes et absurdes (le surautomatisme, le talisman-simulacre), objectivisant d'une manière ininterrompue le hasard et l'obligeant à renoncer à son caractère de rareté provenant de la découverte de l'objet trouvé (l'objet objectivement offert, la graphomanie entropique), nous écartons l'idée insupportable de ne pouvoir le capter toujours. Mettant en relation continuelle l'automatisme et le hasard (la graphomanie entropique, la vaporisation), aggravant la déchirante antinomie du sujet et de l'objet, et accélérant, à l'aide du simulacre, de l'artifice, de la voyance active et du désespoir théorique, sa solution révolutionnairement dialectique par la mise du sujet dans une position réceptive de qualités onirique (les mouvements hypnagogiques, tableaux peints les yeux fermés), ou de qualité médiumnique (l'objectanalyse, interprétation de quelques objets dans un état de léger somnmbulisme provoqué par eux), nous avons arraché de nouvelles contrées au monde objectif.
Utilisant des procédés pathologiques (échographie, stéréotypie), et mettant à la portée du fonctionnement réel de la pensée des appareils mécaniques, tels le pantographe et la machine à couper le papier (la pantographie, la cubomanie), nous essayons de surmonter la froideur de la causalité universelle.

Sans avoir encore les moyens nécessaires pour pouvoir le présenter dans toute son ampleur théorique, nous affirmons dès maintenant notre désir de retrouver les correspondances scientifiques (cosmologiques) de notre attitude et nous nous rendons compte que la position surréaliste est d'accord avec de nombreuses découvertes qui lui sont, apparemment, éloignées. Nous sommes, subjectivement-objectivement, d'accord avec les découvertes qui exercent sur nous une fascinante attraction, telles que la géométrie non-euclidienne, la quatrième dimension, les mouvements browniens, les quanta et l'espace-temps, de même que nous sommes partiellement d'accord avec la biologie non-pasteurienne, représentée par la position héraclitéenne de l'homéopathie.
Nous espérons voir se rapprocher, d'une manière concrètement active, ces recherches scientifiques, assurément trop particulières pour être complètement justes, et nous tentons de trouver les moyens délirants nécessaires à un pareil rapprochement, dans le matérialisme foudroyant et maléfique de la magie noire. Dans « la loi de gravitation » nous avons essayé, d'une manière désespérée, de donner un caractère objectif au désir de rencontrer l'image de l'univers, en forçant l'encerclement défavorable de la nature.
Encore séparés les uns des autres, nous songeons à l'accord secret qui doit exister entre le rêve et la quatrième dimension, entre la luxure et les mouvements browniens, entre le regard hypnotique de l'amour et l'espace-temps.
D'accord avec la science dans ses aspects attractifs et cryptesthésiques, le mouvement surréaliste bouleverse, en même temps, sa rigidité mathématique, avec l'assurance qui rappelle les voyages des somnambules vers l'intérieur de leur propre mystère, identifié un instant au destin secret de l'humanité.
Traversé jour et nuit par une suite infinie de négations de plus en plus irritantes, de plus en plus précieuses et dévorantes, l'inégalable instrument de conquête qu'est le matérialisme dialectique exalte follement notre insatiable faim de réalité, et mord férocement la chair noire et captive de l'homme.
Couverts de sang, ses os palpitants paraissent maintenant de longs cristaux suspendus.





Texte numérisé le 26/05/2009 benjamin.efrati@gmail.com